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mardi 8 novembre 2022




Depuis que le stoïcisme ne séduit plus, la dignité humaine fait banqueroute. Désormais, on ne se cache plus pour dire ses malheurs, on en badigeonne la Toile. On les met en scène avec un art consommé de l’impudeur dans des publications où rien n’est épargné à ceux qui les lisent. Chat écrasé, chien paralysé, perruche envolée, ou poisson rouge dévoré par le chat avant qu'il ne se fasse écraser, tout y passe!


On aurait tort de s’en priver d’ailleurs. L’exhibitionnisme émotionnel est du pain béni déposé sur l’autel du voyeurisme numérique. Les stalkers et les trolls, d’abord, qui se repaissent du déballage larmoyant de l’intimité. Puis les hordes d'anonymes qui se lancent dans une surenchère de témoignages de sympathie et ne manquent pas de partager, en passant, leur funeste destinée. 


Qui peut les en blâmer!  La sphère privée se doit d’être un sanctuaire inviolable. Seuls les initiés des cercles familial et amical y devraient avoir droit de cité. La faute en est donc à ceux qui ouvrent grand les portes du temple de leurs sentiments pour vendre à l’encan leur infortune. 


Vendre, mais aussi faire fortune à l’occasion. A toute chose malheur est bon, dit le proverbe. La douleur fait en effet recette. Plus le spectacle du désespoir est criant, plus les écus s’amassent. Car à chaque dévoiement numérique de l’intime correspond une collecte de fonds fort opportunément orchestrée par un proche de l'individu éploré.


En somme, Il y a retour sur investissement— émotionnel. Notre compassion ne sera jugée qu'à l'aune de notre générosité financière. Après tout, il nous a bien mis la larme à l'oeil, le tragédien professionnel, et tout ça sans qu'on ait eu à débourser le moindre centime. Aurait-il tort de réclamer son dû? 



 

lundi 19 septembre 2022






 Voilà maintenant onze jours, autant dire une éternité, que les ondes électromagnétiques sont prises d’assaut pour relayer le scoop du siècle. La guerre des images fait rage sur toutes les chaînes câblées. Il ne se passe pas une minute, une seconde même, sans que nous ne subissions l'offensive  des médias qui nous servent et resservent le même plat ad nauseam .

Cette fois-ci, ce n’est pas vers l’Ukraine que les caméras ont pointé leur objectif. Délaissé le président stéroïdé aux allures de GI Joe. Les adeptes du body building restent sur leur faim. Leur icône leur manque : il est la preuve vivante que pour gagner une guerre, physique ou psychologique, il faut avant tout faire la guerre à son corps. Non, c’est dans les brumes de l’Ecosse que  les reporters des quatre coins du globe, aussi vifs que l’éclair, se sont d'abord rendus, non pas pour épier une hypothétique apparition du monstre du Loch Ness, mais pour filmer en long, en large et en travers le cheminement d’un véhicule unique en son genre que beaucoup de collectionneurs regardent déjà avec convoitise: un corbillard. 


Fantasmer sur un fourgon funéraire  relève d’une pathologie sévère, me direz-vous. Mais il est à noter que le corbillard en question, spécialement aménagé pour recevoir une hôte illustre, bénéficie de larges vitres pour offrir aux foules massées le long de la chaussée une vue imprenable sur un cercueil en chêne.


Je sens s'élever autour de moi un vent de réprobation. "Parler de la reine d'Angleterre comme vous le faites est indigne de votre position. Un peu de respect!" De grâce, chers lecteurs! Vous n'y êtes pas du tout!  Je ne fais que féliciter une souveraine nonagénaire d'avoir réussi, outre-tombe, un coup de com' aussi exceptionnel. En retardant son inhumation et en autorisant que sa dépouille sillonne par monts et vallées, de Balmoral à Windsor, toute une décade,  c'est moins à un culte de la personnalité qu'elle s'est livrée qu'à une intronisation en fanfare de son successeur. Charles, troisième du nom, dont les deux homonymes royaux eurent un règne marqué par l'infamie en des temps anciens, avait certes besoin d'un petit coup de pouce...


D'ailleurs, ces funérailles royales sont  aussi l'occasion pour les autres potentats de ce monde de se retrouver et de se lamenter sans doute sur les progrès du wokisme de par le monde. A l'allure où ça va, la cancel culture risque d'effacer leur nom des manuels d'histoire. Bon, on prend la pose en signant le registre des condoléances, et surtout pourvu que le stylo ne fuie pas ! Bloody century ....




vendredi 1 juillet 2022


Ce temps qui défigure, je le guette chaque matin au réveil, devant mon miroir. C’est dans une confrontation avec moi-même, lorsque mon visage fait face à mon propre visage dans un duel sans armes, que je mesure ce que ce flux impalpable et pourtant implacable inflige à mon image. Oui, le temps a passé. Je ne suis plus ce que j’étais. Mais ai-je un jour voulu être ce que j’ai vraiment été? 

Les traces visuelles éparses qui jonchent les albums de mon passé me répondent que non. Elles sont comme les feuilles d’un herbier que j'eus tôt fait d’oublier au fond d’une malle, dans le grenier de ma mémoire. D’ailleurs, ces moments immortalisés sur du papier glacé ne m’appartiennent pas. Ils m’ont été volés. En témoigne mon regard froid, distant, celui d'une enfant qui exprime sans un mot le désaccord le plus retentissant. Pourquoi ne pas bouger et à tout prix sourire?

Dans mon refus de jouer l'enfant modèle devant l'objectif d'un parent aimant, rien de bien alarmant. Je fus bien plus heureuse que ces clichés ne le laissent entendre. La prescience enfantine de ce que la vie recèle en creux, les constantes oscillations de la sensibilité qu'elle imprime à la conscience, telle serait plutôt la clé de lecture de ce regard d'enfant qui peut sembler étrange. 

L'enfant a mûri. L'adulte maintenant esquisse un infime sourire. A elle-même. Et surtout pour les autres. Elle a enfin saisi la raison des séances de pose savamment orchestrées : dans cette joute inégale entre le temps et nous-mêmes, c'est l'éphémère glorieux qu'elles se sont ingéniées à célébrer. Alors détournons-nous des miroirs peu flatteurs et laissons tous ces obturateurs crépiter de par le monde. Pour qu'une trace de nous demeure sur terre et fasse naître des étoiles dans les yeux de ceux qui nous survivront.
 














dimanche 26 juin 2022


Depuis l’antiquité, nous inclinons à concevoir notre existence en termes de navigation, de traversée maritime s’achevant sur le rivage de notre finitude. Quant à la trajectoire entre notre berceau et notre tombeau, nous en laissons le fantasque tracé des contours au cartographe suprême. Ainsi certains, dotés du feu qui anime les conquistadors, voguent de méridien en méridien. D’autres, moins aventuriers, se contentent de tracer leur sillon dans un périmètre de quelques empans. Mais quelle que soit l’étendue de leurs pérégrinations, les êtres humains aussi divers soient-ils, ne se construisent ou ne se détruisent que dans le rapport qu’ils entretiennent avec l’Autre, humain ou non humain.

 En tant que première interface avec le monde, notre corps est ce que nous offrons à la perception de cet autre, ami ou ennemi. Amphore de nos émotions d'où débordent souvent nos sentiments, c’est en lui que s’écoule le précipité de notre expérience. A cet autre, que l'on nommera ami, l'amphore communiquera, par sa porosité, le vécu intime qu'elle garde jalousement contre son flanc, tandis que de sa friction avec l'autre, désigné comme ennemi, surgiront progressivement des fissures sur son galbe qui, exposé aux éléments que sont les circonstances, se transmueront en brisures comme autant de déchirures de l'âme.

 Mais que l'on se rassure! Comme cet art venu du Soleil Levant qui ourle de filaments d'or les fêlures des vases précieux, notre devenir métamorphique teindra d'argent nos tempes; et lorsque notre corps-amphore tombera en poussière, une fois atteint le rivage inconnu, les souvenirs que nous léguerons à ces autres que nous avons tant aimés se déposeront, comme le limon fertile de l'Orénoque, au fond de l'urne de nos funérailles.

mardi 15 mars 2022



 

Comme pour mieux brouiller les pistes génériques entre film d’action et thriller, c’est à un jeu sur le langage que nous convie le réalisateur du nouveau film sur le célèbre Homme Chauve-Souris. Les énigmes de l’Homme-Mystère alias Le Sphinx, se font légion, concurrençant les cascades et déflagrations qui ponctuent l’intrigue. C’est que le Batman imaginé par Matt Reeves est avant tout un homme cérébral, un surhomme dont les pouvoirs physiques stratosphériques n’ont d’égal que son exponentiel quotient intellectuel. Quant à son adversaire, il n’est que mirage, pure existence verbale comme l’attestent les billets doux à l’attention de son rival qu’il se complaît à disséminer sur le lieu de ses crimes. 


Au gré de devinettes griffonnées  sur des cartes artistement décorées, le langage se déploie en obéissant à la logique sadique du principal antagoniste dont la signature se réduit à un point d’interrogation. De là une entreprise constante de décryptage à laquelle prend part le spectateur qui, sans cesse sollicité, se rend compte que tout signe linguistique appelle au  déchiffrage comme en témoigne l’alliance de l’onomastique et de  la polyglossie dans la plupart des  patronymes. Falcone, nom d’un gangster de Gotham City, mais aussi substantif  désignant le faucon en italien, ne nous éclaire-t-il pas sur la vraie nature de celui qui le porte?  


Au travers de cette dilection de l’Homme-Mystère pour les mots et les énigmes, se perçoit une rémanence du ludique infantile qui prend toute sa valeur une fois sondé le passé du personnage. C’est au fil d’une analepse narrative que le spectateur découvre le traumatisme fondateur à l’origine de la genèse du dénommé Sphinx. Orphelin dont l’enfance fut digne d’un héros de  Dickens, il jure de se venger des années de souffrance endurées dans une institution sordide que, pourtant, l’édile de l’époque, Thomas Wayne, avait fait le serment de rénover. C’est donc en croisade contre la corruption de ce monde qu’il part, et sa décision d’éliminer le fils Wayne acquiert une dimension ironique quand on sait que la cible visée est orphelin lui aussi et se présente comme son double inversé.  Bruce Wayne alias Batman, n’a-t-il pas  les attraits physiques et économiques qui lui font si cruellement défaut? 


Ainsi, bien que divergeant dans leur conception de rendre la justice, les deux figures de la vengeance masquée ont  en commun d’être nés à eux-même suite à la perte inconsolable de la figure paternelle. Pourtant, si l’on éprouve indubitablement de l’empathie pour la personnalité ténébreuse de Wayne, l’on ne peut nourrir le même sentiment vis-vis de son alter ego grotesque, petit geek binoclard et rigolard qui dissimule son visage derrière un masque à gaz. Le choix du réalisateur n’est d’ailleurs pas anodin: quand sonne l’heure de la justice poétique, on ne regrette pas vraiment l’internement de cet homme des plus banals. 


Certes, le raffinement dans la torture dont Le Sphinx était passé maître le condamnait d’avance. Mais est-ce à dire que l’intention qui l’animait d’éradiquer la corruption ambiante tombe inévitablement sous le coup de la folie ? Telle semble être la grinçante morale que l’on puisse tirer. Et les dernières images d’une aube naissante, synonyme d’espoir, sonnent bien faux quand on se remémore l'esthétique du clair-obscur qui domine la pellicule où les êtres humains, orphelins de toute humanité, sont les proies de faucons, penguins et chauves-souris qui leur racontent des fables à dormir debout.

lundi 3 janvier 2022





 Entre hommages et commémorations, cette année a été fertile en génuflexions oratoires au pied du tombeau des infortunés moissonnés par la pandémie. Cette pratique encomiastique post mortem est certes louable mais, tout bien considéré, elle n’apporte de reconnaissance qu’au thuriféraire qui l’exerce, puisque le dédicataire n’est plus présent pour en savourer le fruit. Aussi, pour clore l’année, je me propose de porter un toast à la vie : honorer une interprète dont l’existence a été et est encore vouée à un art qui, parce qu’il exige un don absolu du corps, de l’esprit et de l’âme, s’élève au-dessus de tous les autres arts.


Avant de briller sur les scènes prestigieuses des théâtres chargés d'histoire qui parsèment le monde, c’est sur la scène ô combien plus précieuse de mon enfance que je t’ai vue évoluer pour la première fois. Précieuse, comme ces gemmes scintillantes que l’on conserve dans un écrin, comme l’émeraude du ballet "Joyaux" de Balanchine que tu interprétas plus tard sous les ors du palais Garnier. J’étais loin de me douter, quand, enfant,  je soulevais le couvercle d’un coffret et m’émerveillais à la vue d’une  ballerine miniature mue par un mécanisme ingénieux, que tu allais, toi, ma sœur, m’éblouir plus encore. Avec ton seul talent, sans aucun artifice, tu incarnerais les héroïnes nées sous la plume de Shakespeare, Pouchkine, Dumas, Proust,  Prévert ou Mérimée, dont les tourments parlent au coeur de tous. A l’instar de ces grands noms de la littérature, tu allais te forger un style et conter sans autre langage que celui de ta somptueuse danse le destin de Juliette, Tatiana, Marguerite , Albertine, Garance, Carmen , Manon, Nikiya et tant d’autres.


Bien avant que tu ne sois soliste, je n’eus aucun mal à discerner ta silhouette au sein du corps de ballet. La carnation diaphane de ton visage et de ton dos captait la lumière avec tant d’intensité que tu semblais nimbée d’une gloire comme ces créatures célestes figurant sur les vitraux des cathédrales. Ta légèreté éthérée quand tu t’élançais dans les airs a fait de toi une Sylphide mémorable. Quant à la douceur mélancolique inscrite dans les ports de bras de ta Giselle , elle n’a eu de cesse de nous émouvoir, ton public et moi, quand tu parvins enfin à soustraire Albrecht à la vindicte de la reine des Willis, au Royaume des Ombres. Que dire de tes jambes! Elle semblaient avoir été ciselées dans le marbre de Paros par les ciseaux d’un Phidias. 


Mon plus beau souvenir de toi, ce fut  le jour où tu fus nommée Etoile. Tu incarnais Tatiana dans le ballet Onéguine de John Cranko. Ta sensibilité avait séduit l'ayant droit du chorégraphe qui t’avait imposée comme soliste lors de la première de ce ballet qui faisait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. C’était un soir d’avril  2009. Quand le rideau ne tomba pas comme à l’accoutumée à la fin du spectacle, je compris que ton nom s'apprêtait à être inscrit sur l'airain immatériel de la postérité. Toutes ces années passées dans ton ombre m’éclaboussaient enfin de ta lumière. C’est ce jour là, calfeutrée dans la loge tendue de velours  de l’impératrice, que je reçus de toi, sous les ovations du public en liesse, un salut empreint de majesté et de tendresse, qui semblait me dire : il faut toujours croire à sa bonne étoile …

#isabelleciaravola #danseuseetoile #emmanuelledubuisson #blogger #blog




samedi 30 octobre 2021





 Dieu est  mort ! Voilà ce que proclamait, il y a plus d’un siècle, un certain philosophe d’outre-Rhin. La prophétie semble se réaliser aujourd’hui. La nouvelle vient de se répandre comme une trainée de poudre. Le créateur de l’univers vient de se faire détrôner par les apprentis démiurges de la Silicon Valley. Après une longue gestation cérébrale, ces derniers viennent de porter sur les fonts baptismaux leur tout dernier-né : le métavers ! 


Certains ont crié à l’outrage. Oser se comparer à Dieu ! Quel sacrilège! Le diable soit de l’Oculus Quest— pardon,  le Meta Quest!  D’autres, un peu plus raisonnables, accueillent cet univers à dimension humaine avec philosophie. Après tout, l’univers est beaucoup trop vaste, et que rapporte à l’homme de connaitre l’existence des exoplanètes sinon de le faire se détourner de la planète Terre. Au lieu de vouloir flotter dans l’atmosphère comme tant d’astronautes en herbe, mieux vaut s’occuper du trou dans sa stratosphère. L’Antarctique, quand même, mérite d'être préservé. Ce n'est plus le bout du monde, que je sache. 


Mais laissons-là les verts, et revenons au métavers, qui, pardonnez-moi l'image, me fait immanquablement penser au jardin d’Eden. En se coiffant d’un casque à réalité virtuelle, l’on se retrouve immergé dans un monde onirique comme celui généré par la pilule bleue dans Matrix. Un coup de blues dans la grisaille hivernale et vous voilà évoluant telle une hirondelle dans un azur printanier, ou virevoltant dans la salle de bal d’un palais princier. La réalité est morte, vive la réalité ( virtuelle)! 


Mais comme dans tout jardin d’Eden, le ver se dissimule dans la pomme du métavers. Le casque high-tech du chevalier des temps numériques ne sert qu’à cacher la triste réalité dans laquelle il vit. On nous promet de nous retrouver en communauté dans des espaces virtuels partagés ; mais il ne faut pas omettre que nous ne bougerons jamais de notre tanière et que si nous communiquons, ce ne sera jamais qu’avec d’autres nous-mêmes, avatars désincarnés  « sans teeth, sans eyes, sans taste, sans everything ». Ainsi disait  le mélancolique Jacques , et par son entremise,  son divin créateur Shakespeare. 


Le métavers, ce n'est pas seulement la mort de Dieu, c'est la mort de l'homme.

vendredi 9 avril 2021




A la faveur de la pandémie, le champ lexicographique s’élargit : d’un printemps à l’autre, non seulement le virus papillonne et rebourgeonne, mais il donne conjointement lieu à la refloraison d’anciens vocables et à l’éclosion de nouveaux

Avec leur étymologie latine, les mots "quarantaine" et  "confinement" sont brusquement sortis de leur pénombre historique. Cela faisait plus d’un siècle qu’ils attendaient leur résurrection, depuis que la grippe espagnole, qui  ne devait pas aimer les poètes, s’en était prise à Apollinaire. 

Les Héllénistes sont aussi ravis que le terme  pédant d’ "agueusie", à la consonance néanmoins si peu poétique, soit préféré à la périphrase "perte de goût" pour définir l’un des symptômes observés. Il m’est avis que ce choix lexical n’est pas anodin : l’on craignait que l’acception gustative du mot " goût" ne soit pas perçu par les esprits chagrins, et que ce soit le tedium vitae, ou perte du goût de la vie, qui ne s’implante plutôt dans l’inconscient collectif.

Nouveauté de ce siècle où la science médicale a permis de mieux cerner la dangerosité virale, la prolifération des noms composés à visée didactique. Les "gestes barrières" désignent ainsi  le comportement à adopter pour éviter de devenir un "cas contact". Il est vrai que d’un point de vue phonologique, la séquence monosyllabe-dissyllabe s’avère un outil efficace pour vendre la prudence. Elle se grave dans la mémoire bien plus vite qu’une glose interminable.

La langue de Shakespeare, quant à elle, n’est pas en reste. On parle de "cluster" pour designer un foyer d’infection,  et on use et abuse de l’acronyme  PCR  sans même savoir qu’il est l’abréviation de  "polymerase chain reaction". 

Mais j’ai gardé pour la fin le néologisme qui fait fureur depuis le mois dernier en France. Mot hybride qui contentera Latinistes et Hellénistes, puisqu’il consacre l’union des deux étymologies, voici qu’est né  le "vaccinodrome" ! Je l’admets, le terme est d’une grande lourdeur et un peu trop racoleur, mais la réalité qu’il recouvre possède-t-elle tellement d’attraits ? 

Comme les pop stores qui rassasient notre appétit de nouveauté, le vaccinodrome n’aura qu’une existence éphémère. La guerre anticovid autorisant les réquisitions, ce sont les stades qui ont été sélectionnés. Les footeux sont maintenant réconciliés avec les gouvernants. Quel honneur pour eux de fouler le gazon  réservé aux prodiges du ballon rond! 

Finalement, le concept a du bon. Une visite au stade de France, ça ne se refuse pas. Le tourisme vaccinal est lancé ! Dans un ultime paradoxe, Covid a fait le vide dans les stades, mais c’est aux stades maintenant de faire le vide de Covid. La boucle est enfin  bouclée.

mercredi 24 mars 2021

 





On l’attendait impatiemment, il est enfin là ! Le variant français a débarqué sans tambour ni trompette sur notre territoire. Les paris étaient ouverts : où diantre allait-il faire sa première apparition ? Certains misaient sur le Sud, mais c’est en Bretagne qu’il a établi sa garnison, histoire de narguer son rival anglo-saxon dont il a pu mesurer la présomption en lisant un ouvrage sur la Guerre de Cent Ans.  La triste fin de la Pucelle d’Orléans l’a ému aux larmes. Il s’est promis de réparer l’outrage. Pour l’heure, volant tel Pégase de région en région,  il fait ses premières armes dans le royaume des Francs. 


Franc, il ne l’est certes pas. Le variant breton s’immisce dans les poumons avec une traitrise consommée. Ses premières victimes n’en reviennent  pas : son opime discrétion lui vaut d’être indétectable! La nouvelle a mis en émoi  les épidémiologistes de notre nation. Le malicieux mutant, devançant tous ses concurrents, tire la langue et fait un pied de nez aux prélèvements salivaire et nasal. 


L’affolement dans l’Hexagone est à son comble. Pour combattre la fièvre, on prie avec ferveur. Mais le variant est un mécréant. Il n’a ni foi, ni loi. Le pire est encore à venir. Une dépêche du Royaume Uni vient de nous parvenir: dans la pouponnière des variants, un virus hybride a vu le jour. Quelle malédiction ! Que les humains s’accouplent, passe encore. Mais que des  variants de souche différente le fasse, c’en est trop !


Le sinistre sire fulmine et tourne son regard vers la Perfide Albion. Un avorton hybride anglo-saxon! Hors de question ! Avec un peu de chance, il va y avoir de la baston. Et nous  connaitrons peut-être enfin la fin de nos tourments. 

mardi 16 février 2021






Qui se frotte à Covid 19 doit se faire piquer. Mais bon nombre d’entre nous trainent la patte. On se tâte. D’ailleurs entre les vaccins AstraZeneca, Pfizer, Moderna, sans parler du Chinois et du Russe, on en perd son latin. On craint les effets secondaires, on doute de l’efficacité de l’injection face à la prolifération des variants. Bref on se trouve toutes sortes d’excuses pour éviter la piqûre.

Il y a toujours eu des sceptiques, me direz-vous . La perfide Albion, avant que le corona ne colonise ses terres, nous a d’ailleurs tenus en haleine il n’y a pas si longtemps , Euroscepticisme oblige. Quant aux climatosceptiques, ils sont de toute nationalité. Certains ont même renié la science pour se tourner vers la lecture de l’Ancien Testament et arguent que si la banquise fond, c’est que le Tout-Puissant punit les descendants d’Adam.

En attendant, les ours polaires boivent la tasse et nous, pandémie oblige,  on ne peut plus se taper la cloche au restaurant. Les cloches, on les entend sonner, par contre, mais pas celles que l’on voudrait. Une lecture s’impose : Pour qui Sonne le Glas. Mais à vous dire, je préfère Les Neiges du Kilimandjaro, du même auteur. Sans doute parce que j’aime le grand froid, moi qui ai le sang chaud. 

Vous vous demandez certainement pour quel vaccin mon coeur balance... Eh bien, sachez que mon coeur est trop bien accroché pour osciller de droite ou de gauche. Je ne suis pas sceptique non plus. Je n’aime tout simplement pas les seringues. Déjà qu’un écouvillon dans le nez m'arrache des cris d'orfraie, imaginez ce que serait pour moi une aiguille sur mon bras. Un supplice chinois, à moins qu’il ne soit russe ! Car, à entendre ce qui se passe par delà l’Oural, on préfère garder son masque et faire le signe de croix…




lundi 11 janvier 2021









Après Les Métamorphoses d’Ovide, les métamorphoses de Covid. Voilà que le virus persiste et signe, faisant un pied de nez à la déferlante de vaccins tout juste mis au point. Après avoir colonisé les poumons  des Anglo-Saxons  et  Sud-Africains, ses rejetons mutants visent à élargir leur éventail linguistique. L’anglais, lingua franca, ne leur a pas suffi. Ils veulent briller par leur polyglossie. La deuxième génération Covid s’est donc mise à l’italien , l’espagnol , l’allemand et même le scandinave! Aux dernières nouvelles elle s’initie au dialecte corse. 


Du côté des humains, la course contre la montre a commencé. On s’élance chez les médecins pour devancer l’arrivée des  polyglottes en herbe. Enfin, pas tout le monde, à vrai dire. Les plus téméraires, dirons-nous. Ceux qui  sentent vibrer en eux la fibre héroïque au point de servir de cobaye à la science médicale. Victimes sacrificielles, ils tendent leur bras dénudé pour recevoir l’injection aux vertus miraculeuses. Et rien de mieux que d’immortaliser l’acte en public pour propager l’envie…. ou son contraire.


Et nous qui croyions à notre bonne étoile quand les douze coups de minuit ont retenti. 2020, Annus Horribilis, n’a pas été sitôt inhumée que 2021 nous promet tout sauf monts et merveilles. Nous voilà repartis pour de nouvelles mascarades. Heureusement que, même si nos bouches sont bâillonnées, il nous reste nos yeux pour nous exprimer. Mais gare aux coeurs mal accrochés. On peut aussi tuer d’un regard. Quoi qu'on fasse, ce satané Covid ne cesse de faire des ravages ! 





lundi 21 décembre 2020





J’eusse préféré que l’année commençât un 1er Avril, comme aux temps anciens, avant que Charles IX n’en décide autrement. Nous nous éveillerions dans les bruissements du printemps. Le soleil, lassé de la torpeur hivernale, commencerait plus tôt son ascension, essuyant d’un revers de rayon les larmes de rosée, miroirs convexes où se reflète notre monde.

Convexe, notre monde l’est déjà. Pas besoin de miroir sorcière pour créer de reflet monstrueux. Le ver était dans la pomme bien avant que le virus ne la croque à pleines dents. Pollution , corruption, perversion, trahison , extermination, la liste des méfaits de l’homme est universelle et intemporelle. La distanciation sociale ne peut rien contre la schizophrénie du pouvoir qui gangrène les nations. L’homme est un loup pour l’homme, et les loups vivent en meute, dissimulés dans les interstices du World Wide Web.

Bien mal en a pris à ceux qui ont accueilli les ondes électroniques comme une bénédiction. Ils n’ont pas mesuré que face à leur écran, ils étaient face à un miroir sans tain, derrière lequel se tapissaient les agents invisibles de leur asservissement. Ainsi, de confinés, les internautes se sont retrouvés condamnés à cliquer à perpétuité. L’outil numérique, autrefois si ludique, s’est mué en engin explosif dynamitant le plaisir que nous avions à cueillir les jours.

La dictature du digital, voilà l’empreinte que l’année finissante laissera à la postérité. Le toucher des claviers ou des écrans tactiles, c’est à quoi s’est réduite notre fonction haptique depuis le printemps dernier. La machine est venue s’interposer entre les humains. Le lien hypertexte a supplanté le lien social. L’enfer, ce n’est plus les autres, mais bien soi-même. La nuit tombée, nos visages pixélisés se reflètent sur des écrans obscurs, miroirs convexes de notre humanité à jamais morcelée.




vendredi 30 octobre 2020







Paris n’est plus une fête. Les restaurants et cafés, autrefois fleurons de l’exception française, sont devenus moribonds. Des serveurs désoeuvrés, à la mise impeccable, tentent de faire bonne figure en accomplissant des gestes mécaniques autour de guéridons endeuillés, ajustant la position d'une assiette ou d’un verre. L'heure avance et le client tant souhaité ne vient pas. Les quelques convives attablées présentent une mine abattue que l’absorption d’alcool ne parvient pas à égayer. Les mets qu’ils engloutissent à la hâte ont la saveur du repas du condamné. 


C’est que le couvre-feu va bientôt recouvrir de son linceul la Ville Lumière qui plongera une fois encore dans l’obscurité du confinement. Le rideau va tomber. Il faudra s’acheminer à contrecoeur vers son logis et se préparer pour une autre traversée des ténèbres, cette fois-ci automnale. La grisaille et le froid règnent en maître dans  le paysage mental et urbain. Ce n’est pas la peine de mort dont nous avons écopé, mais la peine de vie. 


Si nous avons tant de peine à vivre, si nous vivons avec tant de peine aussi, c’est que nous ne vivons plus vraiment. Nous ne faisons que survivre. Il est au moins une chose dont nous avons pris conscience, nous qui sommes blasés de tout, étourdis que nous sommes par le divertissement pascalien, c'est que nous sommes encore en vie ! Mais cette vie que nous tenions absolument pour acquise ne tient qu’au fil que le virus à tête couronnée agite de ses mains, faisant de nous les marionnettes de son vaste théâtre d’ombres. 


Acta est fabula! La pièce est finie. Nous qui voulions tenir un rôle à la mesure de notre grandeur ne sommes plus que de pauvres hères, décrivant des cercles erratiques dans ce cirque planétaire gangrené par l’hubris humaine. Dans la tragédie qui se joue, nous voilà contraints d’épouser le sort de comédiens sans rôle  dont la vie, que le roi maudit Macbeth a si justement dépeinte, se réduit à une ombre qui passe, un pauvre acteur qui parade et s’agite pendant un temps sur scène et  qu’on n’entend plus ensuite: « Life's but a walking shadow, a poor player, / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more ».  


Shakespeare, par delà les légendes et les siècles, aura toujours le dernier mot…