Pages

Nombre total de pages vues

dimanche 31 janvier 2016

Quand j'étais enfant , je ne comprenais pas pourquoi les grandes personnes  passaient leurs journées à se plaindre et à déplorer que le temps passe si vite . Ma perception temporelle était tout autre . Je les trouvais longues, ces années de collège , longues ces années de lycée . C'est d'ailleurs  à ce moment là que je  me suis mise à rêver , à bâtir mes châteaux en Espagne avec le plus beau cancre de la classe à qui je réservais une place au premier rang,  à côté de moi , pour qu'il ait tout loisir de copier mes réponses lors des contrôles de maths.

Je ne sais pas vraiment ce qu'il est devenu , ce beau blond qui se faisait toujours remarquer en entrant dans la classe , un sourire ravageur en guise d'excuse, longtemps après la dernière sonnerie . S'il me fascinait tant , c'est sans doute qu'il osait braver l'interdit . Il n'avait peur de décevoir personne , ni sa mère , ni ses pairs . C'est qu'il les portait avec panache , ses résultats médiocres et ses retards chroniques, quand il fumait ses Lucky Strike à la sortie des classes.

Je le regardais , d'un oeil émerveillé , enfourcher sa moto aux chromes rutilants  et partir dans un nuage de fumée vers une destination inconnue . J'ai beaucoup pleuré quand j'ai su qu'il avait jeté son dévolu sur l'apprentie coiffeuse de son quartier . Une blonde , comme lui , à qui il permettait de grimper derrière lui sur son destrier rouge sang. Peut-être l'a-t-il épousée ? Qui sait !

Je ne l'ai jamais revu . Prise dans le tourbillon de mes études , je l'ai oublié . Jusqu'à aujourd'hui . C'est vrai , le temps passe vite ! On ne s'en rend  vraiment compte  que les jours de grande nostalgie . Et je repense à ces années lycée où je guettais son arrivée et où je m'enivrais , quand il prenait place à mes côtés , de son parfum Guerlain , jusqu'à ce qu'il abandonne , une fois le cours fini, loin derrière lui,  cette odeur de tabac blond aussi fugace et insaisissable que cette année de terminale qui mit un point final au premier chapitre de ma vie .






jeudi 31 décembre 2015





L'obscurité a toujours  été stigmatisée dans le monde occidental . C'est qu'on la craint . Elle pointe toujours une  absence , une privation ,une frustration même . Manque de lumière , au sens physique, manque de clarté , au sens intellectuel. Dans un cas comme dans l'autre , nous sommes délogés de notre zone de confort . Il nous faut procéder à tâtons avec le risque de nous cogner à la réalité concrète ou abstraite .

Mais à y bien réfléchir , l'obscurité fait partie du grand cycle de la nature . Si le jour existe , c'est bien parce que la nuit lui donne naissance . Notre gestation dans la matrice maternelle s'est aussi effectuée dans l'obscurité la plus complète . Et la vie organique ne serait pas possible sans la mise en sommeil des photons . Pour permettre à la nature de se régénérer ou tout simplement de se développer , l'obscurité est donc  indispensable .  

Le domaine des inventions techniques en a d'ailleurs tiré amplement partie .  La photographie n'aurait jamais vu le jour sans la mise au point de la chambre noire . Et le cinématographe nous attire bien dans des salles obscures pour que prennent vie sur un écran les destinées les plus variées . Il en est de même pour les salles de spectacles : que ce soit au théâtre ou à l'opéra , pour que la magie opère , la lumière de la salle doit s'éteindre  pour que celle de la scène nous illumine . 

Si le divertissement la courtise, si elle est un composant inaliénable de la vie , il serait enfin temps que nous cessions de la redouter , voire même de la diaboliser . On oublie trop qu 'elle est plus proche de nous qu'il n y paraît . Il n'est  qu'à sonder notre moi profond pour y dénicher notre part d'ombre  . Tapie au fond de nous , elle attend que nous l'apprivoisions .La fuir reviendrait à  se renier soi même , à se détruire ou , pire encore , détruire les autres. L'obscurantisme , voilà ce qu'il faut combattre . Car il a pour seule fin  de plonger le monde dans les ténèbres en lui fermant les portes de l'avenir . 

lundi 21 décembre 2015

C'est toujours un peu la même histoire, ces grands méchants sur grand écran qui font le mal pour le mal.  Ils ont toujours raté quelque chose dans leur enfance. Soit ils ont grandi dans l'ombre intergalactique  d'une mère qui a tout fait pour leur faire oublier leur père . Soit ils ont grandi  dans le vide sidéral laissé par une mère démissionnaire en prise avec un père tortionnaire.

 Comment leur reprocher ensuite d'être bancals , eux qui n'ont appris à se tenir debout qu'en s'agrippant au mât de leur lit, spectateurs du naufrage parental et cherchant plus tard leur bonne étoile dans le ciel de leurs délits? Quand on est privé d'un centre , ballotés entre un besoin d'amour  immense et un sentiment d'abandon , peut-on faire autre chose que de se tourner vers le côté obscur?

Comme ces fruits que l'on cueille des arbres avant qu'ils n'aient mûri, ils pourrissent en leur coeur en se gorgeant de rancoeur. Ils se nourrissent de leur rage et s'enivrent de pouvoir. Ils aiment d'un amour malsain , martyrisent leur entourage , se méprisent tout autant qu'ils s'admirent. Ils veulent prendre leur revanche sur la vie,  se venger d'avoir été trop aimé ou pas assez . Ils vendent leur âme au diable , se consument dans les supplices du mal car ils n'ont jamais goûté de meilleurs délices.

Puis ils croisent les pas du héros, celui qui leur tend le miroir de leur conscience et fissure leur carapace de remords intenses. Le feu qui les dévore se transforme en minuscule flamme . Le chaos qu'ils ont semé leur laisse un goût de cendre dans les entrailles. Ils repensent à leur enfance, à leurs premiers  bonheurs vite étouffés par le malheur, mais aussi à tout cet amour qu'ils ont emprisonné dans leur coeur pour laisser libre cours à leur fureur.

Et comme il faut bien une morale à toutes ces histoires , le bien finit par triompher du mal .  Les héros doivent bien servir  à quelque chose. Mais au fond, le méchant doit se réjouir plus qu'autre chose de tomber sous les coups de ces hérauts d'un monde meilleur. Parce que , vraiment, passer toute une vie à faire le mal , ça ne doit pas être toujours rose . Ils le méritent bien ,  leur repos éternel . Avoir constamment la force avec soi, quoi qu'on en dise, c'est ...mortel ...

lundi 7 décembre 2015




On passe sa vie à attendre. C'est une nécessité à laquelle on ne peut se soustraire. On attend un train, on attend son médecin . On attend des nouvelles des personnes à qui l'on tient. C'est une passivité dont on se passerait bien , car elle nous fait prendre conscience, à nous qui clamons notre autosuffisance, de notre  dépendance aux autres mais surtout aux circonstances . 

Il arrive qu' on attende pour rien aussi. C'est le plus dur . Attendre quelqu'un qui ne viendra jamais. Quelqu'un qu'on ne connaît pas mais dont on est sûr qu'il nous reconnaîtra dès qu'il apparaîtra, qu'il rompra le maléfice qui nous lie au malheur ou et au désamour de soi . Il faut bien croire en sa bonne étoile quand on a l'espoir pour unique fanal . 

En attendant , on essaie de poursuivre son chemin bon an mal an. On se laisse porter par le rythme des saisons et le cortège de leurs célébrations . On patiente stoïquement des mois durant , endurant le froid hiémal et celui, plus glacial,  des couloirs où piétine notre âme . 

Puis un beau jour , on se rend compte qu'on n'a plus rien à attendre. Qu'on a même attendu pour rien. Que celui qu'on attendait n'est jamais venu et que d'autres qu'on n'attendait pas sont venus à sa place, pour le meilleur et pour le pire . 

Et l'on se dit qu'on s'est trompé. Que la vie répond rarement à nos attentes. Que le  bonheur est un miracle qui n'existe que dans les contes , un cadeau de Noël égaré en chemin qui n'arrivera jamais à destination . 

Alors on se résigne à attendre celle dont on ne sait rien mais qui nous connaît si bien . Celle qui tient toujours parole , quelles que soient les saisons , quel que soit le continent . Celle qui nous confirme que la vie n'est qu'une vaste aérogare et que nous sommes des passagers sans bagage , perdus au milieu de nulle part et qui rêvent de nouveaux départs pour quitter cette terre jonchée de cauchemars. . 


samedi 21 novembre 2015




La vérité nue , on a beau la chercher , elle fait tout pour se dérober à nous . Quoi qu'on fasse, elle s'enveloppe d'un voile pudique et ne nous laisse, comme trace de son passage,  que les pièces d'un puzzle organique qui sans cesse se modifie et défie notre entendement.

Pourquoi , d'ailleurs, vouloir à tout prix  l'appréhender au singulier , nous qui sommes une multiplicité d'individus à l'identité multiple au cours de notre vie ? A chacun sa vérité , faudrait-il dire. Et il en est peut-être mieux ainsi . Car comment ne pas succomber à la nausée quand on la dépouille de ses oripeaux mensongers ? Où trouver la force de surmonter  la répugnance qu'elle nous inspire quand elle nous offre le spectacle obscène de son corps en décomposition avancée ?
 
A vrai dire , on ne désire pas vraiment la connaître . On la fuit , même , plutôt qu'elle ne nous fuit. Et c'est là la seule vérité qui tienne. On s'accommode très bien de ses simulacres , des masques qu'elle prend plaisir à porter pour mieux nous tromper . Ses sourires , ses belles paroles nous font croire que la réalité n'est pas si intolérable que ça .

Un jour ou l'autre, pourtant, il faut bien que le rideau tombe. Acta fabula est ! Le hasard joue si bien aux dés . On prend soudain  le temps de se regarder dans le miroir sans fard . Et on ouvre les yeux sur ces regard fuyants qui nous entourent, ces propos aberrants , ce théâtre de faux-semblants dans lequel on jouait le rôle principal tout en croyant n'être qu'un figurant .

On se dit alors que l'espèce humaine est une calamité, on se reproche d'avoir été si naïf aussi . Mais au bout du compte , on finit par s'en féliciter. Car ce temps qu'on a passé à se laisser séduire par cette vérité grimée  a été un temps béni . D'abord parce que nous avons baigné dans la sérénité, ensuite parce que , grâce à lui , nous parvenons enfin à agencer les pièces manquantes du puzzle de notre identité.

samedi 14 novembre 2015

Nous sommes bien peu de choses sur terre . On a souvent tendance à l'oublier . Ce n'est qu'en des circonstances dramatiques que soudain nous est rappelée la précarité de notre existence, notre vulnérabilité physique tout autant que psychique, nous qui  ingérons à longueur de journée des maximes vitaminées mensongères qui proclament notre invincibilité .
 
Que celui qui ne s'est pas vanté de posséder en lui les armes pour conquérir le monde me jette la première pierre ! On nous enseigne que nous sommes maîtres de notre destin; que vouloir, c'est pouvoir; que nous possédons en nous les clés de la félicité et de la réussite. Harnachés de pensées positives, nous avançons d'un pas décidé, le corps discipliné et l'esprit galvanisé, prêt à en découdre avec quiconque entravera notre chemin.

Mais nous oublions que la vie n'est qu'un château de cartes. Que nos constructions ne sont qu'éphémères et que nos passions nous conduisent inévitablement sur le chemin de la Passion christique. Nos réussites ne sont que l'envers de nos échecs, et nos unions , qu'elles soient amicales, conjugales ou professionnelles finissent toujours, tôt ou tard, par des séparations .

Si nous naissons un jour à nous-mêmes, ce n'est que pour saisir notre impermanence en ce monde , notre proximité ontologique gênante avec les choses inertes qui nous entourent, une fois que le souffle divin qui nous anime nous aura été dérobé. Oui, nous sommes décidément bien peu de choses sur terre. Nous avons beau marcher la fleur au fusil , nous ne serons jamais que de la chair à canon pour ceux qui tuent et meurent pour des idées car ils sont trop lâches pour avouer qu'ils ont perdu le combat contre eux-mêmes.

dimanche 25 octobre 2015




Raconte-moi une histoire! Telle est l'injonction que l'enfant donne à l'un de ses parents quand la nuit tombe et qu'il est temps pour lui de se coucher . Comme si ce rituel était le passage obligé de la veille au sommeil , un moyen comme un autre de conjurer la plongée aussi nécessaire que terrifiante dans l' inconnu nocturne.

Car cette suspension provisoire de la conscience , cette mise entre parenthèses de la vie n'est que la préfiguration du néant à venir , de celui dont l'enfant a le pressentiment avant même qu'il n'ait affecté son environnement immédiat . La mort , même s'il n'en a aucune connaissance physique, sait ne pas se faire oublier en s'affichant avec ostentation dans les médias . Elle s'étale en gros titres sur les journaux , en bannières sur nos écrans .Elle se venge de son impopularité en s'invitant , comme la fée Carabosse, au baptême des nouveaux-nés mais aussi à toutes les festivités .

Elle nous raconte toujours la même histoire , en somme . Quoi qu'on fasse , elle a toujours le dernier mot . C'est une romancière hors-pair, irriguant ses intrigues de suspense , se nourrissant sans cesse de l'effet de surprise qu'elle produit . Elle est toujours là où on ne l'attend pas . Et c'est pourquoi elle nous fascine , tout autant qu'elle  nous terrifie . Jeunes , vieux , tout le monde y passe . Seul son mode opératoire varie .

Femme fatale , faucheuse hideuse , l'iconographie l'embellit ou l'enlaidit. Que lui importe l'apparence qu'on lui donne . Elle ne se donne jamais à voir . Sans substance , et pourtant consubstantielle à notre existence , elle n'est pas à un paradoxe près . Elle ourle nos songes de l'appréhension qu'elle nous inspire et alimente nos fantasmes d'anéantissement les plus fous .

 L'histoire que l'on raconte au jeune enfant la met en scène aussi . Mais ce n'est pas n'importe quelle histoire . Elle se situe toujours dans des contrées lointaines et des temps reculés , comme si l'on voulait l'exorciser en la circonscrivant à un cadre spatio-temporel bien délimité.

C'est pour cela que l'enfant la réclame , chaque soir, son histoire , et que plus tard , il s'en racontera lui-même , des histoires , aussi  abracadabrantes que celles de sorcières et de sortilèges , dans la tentative de rompre les maléfices de la vie et repousser  la part grandissante d'obscurité en lui .