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samedi 30 août 2014


Une brise qui fait frissonner, des transats en déshérence, un silence orphelin de rires d'enfants qui s'ébaudissent dans les vagues, tels sont les signes qui indiquent infailliblement que l'été tire sa révérence, que l'heure du départ à sonné, que le quotidien va reprendre le dessus avec son lot de servitudes qu'on avait soigneusement remisées dans un tiroir de notre mémoire. Les vacances sont bel et bien terminées. Bientôt les files d'attente interminables, les bousculades, les gyrophares et les klaxons, les rumeurs et la mauvaise humeur.

Alors on regrette d'avoir pesté contre le sable fin qui s'insinuait insidieusement dans nos sacs et nous piquait les yeux au moindre coup de vent.  On s'en veut aussi d'avoir trouvé l'eau de mer si amère quand on avait bu la tasse. Ces petits désagréments ne sont rien en comparaison de ceux qui nous attendent jusqu'à l'été prochain. Plus d'une fois nous aurons les yeux qui piquent, mais pour d'autres raisons. Et les gorgées d'amertume, on les goûtera forcément au fil des saisons .

Heureusement, on emporte, dans la valise de nos souvenirs, des moments inoubliables vécus sous un soleil radieux et un ciel sans nuages. Des amitiés qu'on aimerait durables même si elles ne seront que transitoires. Des visions de palmiers géants oscillant au gré du vent, des chants d'oiseaux matinaux qui nous ont fait aimer nous lever à l'aurore. Des sentiers ombragés dans une forêt de montagne où des rochers de titans, parés de mousse odorante, nous ont révélé une nature grandiose.

Et l'on se dit que la vie vaut la peine d'être vécue. Que quoi qu'il arrive, on reviendra un jour fouler ces plages de sable fin, on se laissera caresser par les courants marins, intimider par la voix rauque des torrents dévalant des sommets, et attendrir par de frêles fougères servant d'ombrelles à des bouquets de cyclamens. On se dit que le temps n'est pas si assassin qu'on le pense. Que ce qu'il nous prend en années, il nous le rend en sensations soyeuses et émotions précieuses. Et qu'il n'est de bonheur plus éclatant que de se sentir vivant !

samedi 23 août 2014


Ah! la plage ! On en rêve toute l'année. Le sable fin, le murmure  des vagues, la caresse du soleil sur notre corps enfin affranchi du port du vêtement. On a traversé les saisons avec détermination , supporté stoïquement que l'automne coquin dévêtisse la végétation,  combattu héroïquement  les assauts de l'hiver belliqueux, guetté avidement l'équinoxe de printemps, annonciateur de douceurs climatiques et d'éclosions en tout genre .

La plage, c'est le lieu ressource dans l'imaginaire collectif. Un coin de paradis qu'on achète à prix d'or et dont on ne peut se passer. On veut bien faire une croix sur les pistes de  Saint-Moritz en temps de crise, mais pas sur le rivage de Saint-Florent et de son onde cristalline .

Alors, on s'y prépare longtemps à l'avance, à notre effeuillage sur le sand carpet. C'est que la concurrence va être rude. Les Lolitas sévissent, et les bimbos aussi. Alors une bonne detox s'impose avant un destockage graisseux. La grâce, par contre, on l'a ou on ne l'a pas .

Après quoi l'indispensable achat du maillot de bain récompense nos efforts démesurés. Si on a passé l'hiver à faire des squats et des pompes, on peut se permettre, passée la trentaine, le bikini sexy, voire le trikini. Sinon, on se contentera d'un maillot une-pièce, mais pas de n'importe lequel : échancré et décolleté, s'il vous plait ! Sans oublier les lunettes de soleil griffées. Pour zieuter et être zieutée .

Le grand jour arrive. Enfin prête pour la descente des marches! Une fois touché le sable ferme, nous repérons le jeune plagiste bodybuildé préposé à la mise en place des transats. Il nous en faut un face au soleil (héliotropisme oblige ) et le plus proche de la mer ( paresse oblige ). Alors l'on peut procéder au rituel du déshabillage. Ni trop rapide, ni trop lent. Juste ce qu'il faut pour susciter le désir.

Telle une hétaïre, nous allongeons notre corps de déesse avant de l'enduire généreusement de crème solaire à indice de protection élevé - les homards, on les aime dans l'assiette, mais on n'a guère envie de leur ressembler . Ah! Le sable fin ! Le murmure des vagues ! La caresse du soleil !

 Mais soudain voilà qu'un ballon fait violemment irruption dans notre champ de vision et vient briser notre quiétude chèrement acquise. Puis c'est au tour d'un petit fripon pris en chasse par une horde hurlante de nous éclabousser de sable. À peine avons-nous repris nos esprits qu'un vendeur ambulant nous oblige à ouvrir la bouche pour gouter l'une de ses pralines .

C'en est trop! Avoir attendu un an pour subir tous ces désagréments! De rage nous lui en achetons trois paquets et les ingérons goulûment . Tant pis pour le trikini ! Demain ce sera plongée sous-marine ! Avec les poissons , rien à craindre : ils sont muets comme des carpes et il ne risque pas d'y avoir anguille sous roche .

jeudi 14 août 2014

"Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? ". Ces deux questions, il ne vous viendrait pas à l'esprit de les poser à un inconnu de passage , même si vous en brûliez d'envie . Et pourtant , vous vous souvenez les avoir prononcées il y a longtemps de cela, quand vous rêviez de bikini sexy et qu'on vous affublait d'une barboteuse hideuse. Quand vos biceps fluets étaient comprimés par des brassards ou , pire encore , qu'une bouée à l'effigie d'un vilain petit canard ceignait votre taille alors que votre palmipède favori, c'était, bien évidemment,  le cygne blanc .

C'était l'époque où vous utilisiez la parole non pour déguiser votre pensée , comme le proclamait Talleyrand , mais pour communiquer avec authenticité .  C'est maintenant au tour de votre  enfant de les poser , ces deux questions . Vous lui avez assigné un périmètre de sécurité et surveillez , en bonne mère-poule que vous êtes , le moindre de ses faits et gestes , sur cette plage où il va goûter aux joies de la baignade . Sans vous douter qu'il fera peut-être aussi l'expérience de la douche froide .Car si vous êtes en vacances , la nature humaine , elle , ne l'est jamais . Et votre enfant , aussi mignon qu'il est , aura tôt fait d'en faire les frais .

Plantons le décor . L'après-midi touche à sa fin , et la patience de votre bambin aussi . Il a accepté , presque sans  broncher , de se laisser enduire  le corps d'un  écran total poisseux qui lui donne des airs de Casper dans un remake des Bronzés . Il a serré les dents quand vous lui avez ajusté son bob fluo et ses lunettes aux verres miroir , sans vous rendre compte qu'il possède un sens inné du ridicule , et que ressembler à un mix des deux Flics à Miami et des Beach Boys ne correspond pas à ses critères esthétiques - ni aux vôtres , d'ailleurs . Alors , quand vous lui demandez , après une trempette éclair , de s'asseoir gentiment sous le parasol pour pouvoir enfin étaler votre corps de Milf sur votre transat loué à la journée , pas étonnant que le fruit de vos entrailles émette les  grognements d'un fauve en cage  et qu'il soit submergé par l'appel du large .

C'est qu'il n'a pas besoin de longue-vue pour inspecter les environs avec le maximum de précision. Ce qui l'intéresse , c'est avant tout l'action . Et sur une plage , elle se concentre principalement sur une zone bien définie qu'il scrute sans relâche , toutes antennes dehors , prêt à vous fausser compagnie à la moindre occasion . La  portion géographique sur laquelle il focalise son attention , c'est celle où le sable est assez imbibé d'eau salée pour ne pas s'éparpiller en grains folâtres quand on le saisit par poignées. C'est là que le petit d'homme révèle sa nature d'homo faber en se lançant , chaque été , dans la construction de châteaux éphémères . Et c'est avec envie qu'il observe ses congénères lorsque , animés d'une fièvre bâtisseuse  , ces derniers affrontent vents et marées pour édifier remparts et donjons de sable à la longévité programmée .

Votre rejeton, s'il n'est pas poltron, tentera une brèche .  Il guettera le moindre signe de découragement des apprentis maçons pour leur apporter sa contribution . "Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ?"S'il est timoré, par contre, il  demeurera figé comme une statue de sel , tiraillé entre le désir de collaborer et la hantise d'être rejeté. C'est que l'instinct de propriété de ces petites personnes est fortement développé . Même si le sable appartient à tout le monde , ce qu'ils en font n'appartient qu'à eux seuls . Et gare à celui qui s'avisera de leur barboter pelle , râteau , seau ou tamis ! Il lui en coûtera une belle touffe de cheveux arrachés  ou une généreuse volée de sable dans les yeux .

Heureusement ! Les verres miroir ont fait écran et votre mini-moi ressortira indemne après pareil affront . Il ravalera ses larmes et reprendra son poste d'observation sur sa serviette  éponge sans que vous ayez eu besoin de sonner du clairon . C'est alors qu'une méchante vague viendra anéantir le fruit du dur labeur des trois vilains  garçons, qui se répandront en lamentations devant les vestiges de leurs fortifications bidon . De quoi en tirer une bonne leçon!
Comme quoi , on peut devenir vite  un sage , sur un modeste bout de plage , à n'importe quel âge .


vendredi 25 juillet 2014

Oui ! Notre civilisation  est décidément bien malade. Je dirais même incurable ! Car elle fait preuve d'une  cécité  totale quant à la virulence du poison qui lentement la corrompt. En croyant cueillir les roses de la vie , nous ne composons, sur notre chemin, que des bouquets magnifiques d'ancolies maléfiques qui s'insinuent dans les replis de notre esprit .

Ce mal qui nous ronge et qui affecte nos relations à autrui, c'est la consommation à outrance. Consommation de sexe, de sentiments et de sensations . À trop vouloir s'emplir les poumons de liberté, on finit par respirer un air vicié: celui de la licence. Licence de posséder l'autre puis de s'en déposséder, licence de s'en éprendre  puis de s'en déprendre, licence de boire jusqu'à la lie la liqueur de la vie avant d'en subir les déboires. Alors que notre espérance de vie s'allonge, paradoxalement les actes d'importance qui scandent notre existence n'ont qu'une durée de vie limitée.  Les serments n'ont plus aucune consistance . D'où vient cette inconstance?

C'est dans l'air du temps, répondront certains, sur le ton de la résignation. Ils n'ont pas tort. Il n'y a qu'à regarder autour de nous. Notre environnement familier témoigne de l'accélération de la péremption de nos biens. Que ce soit dans le domaine de l'électroménager ou de l'informatique, nos appareils tombent sous le coup de l'obsolescence programmée. Les avancées techniques sont tellement rapides qu'au bout de quelques mois , nos ordinateurs  flambant neufs appartiennent à l'ère jurassique du digital. On achète, puis on jette. Il y a presque autant, dans les déchèteries,  de carcasses de PC passés de mode que de carcasses de poulets aux hormones .

Il en est de même dans le domaine de l'habillement . Des chaussettes aux chaussures,  des dessous aux pardessus , tout le secteur du prêt-à-porter pâtit d'une détérioration de la qualité. On ne reprise plus, on ne retouche plus, on ne répare plus, on jette, sans aucune componction. Fabriqués dans les sweatshops des pays émergents, ces articles, faits à la va-vite, pèchent par leur manque de finitions et la désagrégation de leurs composants au fil du temps. La raison à cela? L'emploi de tissus et matériaux bas de gamme, ainsi que l'obligation de se plier aux injonctions d'une course à la productivité .

Ce rapide état des lieux devrait donc servir à notre édification. Avons-nous vocation à nous laisser traiter comme des biens de consommation? Inversement, allons-nous considérer notre prochain comme un pion sur l'échiquier de nos inclinations en perpétuelle évolution? Il faudrait avoir une piètre estime de nous-mêmes et des autres pour accepter un tel choix de vie .

Non ! L'être humain n'est pas une denrée en rayon dans l'hypermarché de nos désirs en mutation constante. Même si nous sommes entrés dans l'ère du tout-jetable, même si nous nous lassons vite des choses que nous acquérons,  ne laissons pas la contamination gagner ce qui fait notre spécificité et notre unicité : notre capacité à choisir et chérir un être avec qui nous aurons du plaisir à partager notre existence . Donnons-nous une chance de goûter au bonheur avant de nous dégoûter de nous-mêmes. Notre vie arrivera à péremption bien assez tôt .

jeudi 10 juillet 2014

L'homme du XXIème siècle est un homme qui marche, et qui est en marche.  Il va droit devant lui . Vers un but précis . Souvent au mépris des autres , individualisme oblige . Alors, les rares moments qui s'offrent à lui de se poser , et de chercher celui ou celle qui lui emboîtera le pas pour un temps limité ou illimité, il les utilise à bon escient .

   Avant tout, il a compris que le meilleur prélude à une entrée en matière communicationnelle est une exploration scopique de la personne visée. Certes , l'examen de son visage en dit long sur son intériorité . Il permet de faire un premier tri . Exit les mines renfrognées , les lèvres pincées , les airs hautains . Bienvenue aux yeux rieurs , rêveurs et aux sourires coquins .

   Mais une fois commis  le délit de faciès , il faut scruter les détails qui vont mettre notre prospecteur de la "perle rare" sur la voie des affinités électives . Et devinez quelle partie du corps le renseignera le mieux ? Le poignet ! On n'y pense jamais , mais c'est pourtant un indicateur infaillible quant aux goûts particuliers d'une inconnue lambda.

    Tout comme le cou ou les doigts , le poignet a l'avantage, de par sa circularité , de se prêter à l'ornementation . De même que le collier embellit un cou, ou qu'une bague enjolive un doigt , le bracelet fait aussi partie, depuis des temps immémoriaux,  de la grammaire de toute coquette , et ce faisant , livre à l' observateur averti quelques secrets sur les penchants de son heureuse propriétaire . Qu'il soit en métal précieux , en perles ou pierreries , en bois , en coton, en plastique, ou même, récemment, en élastique, cet ornement orbiculaire , par sa simplicité ou sa sophistication, révèle la fibre aristocratique tout autant que la fibre écologique ou synthétique de la femme qui le porte .

   Attribut esthétique , certes , mais pas seulement . Le bracelet est devenu , au cours du siècle dernier , l'instrument indispensable à notre repérage dans le temps . L'invention du bracelet-montre , en 1904,  par Louis Cartier , pour son ami aviateur Santos-Dumont,  sonna le glas de la montre à gousset . Extraire une montre d'une poche  à des milliers de pieds d'altitude relevait d'un  exercice encore plus périlleux que la pratique de la haute voltige, cela va sans dire .  Et même si on ne navigue pas dans les airs et que l'on a les pieds sur terre ( physiquement parlant , du moins) , rares sont ceux d'entre nous qui regrettent le port du gousset.

   Avec l'avènement des nouvelles technologies , le bracelet s'est vu confier une autre mission, plus inquiétante : celle de surveillance . On connaît l'existence du bracelet électronique  que certains repris de justice , bénéficiant d'un aménagement de peine , doivent porter ( à la cheville , pour plus de discrétion ) afin d'être à tout moment géolocalisés par l'administration pénitentiaire . Au cas où ils voudraient prendre la poudre d'escampette...

   C'est dans la même optique de surveillance qu'a été inventé le " bracelet connecté" .  Relié au smartphone de son propriétaire via une application, il enregistre le moindre de ses  faits et gestes , mesure son temps de sommeil et contrôle même son alimentation. Si les objectifs fixés ne sont pas atteints , l'autoculpabilisation fait son apparition . Est-ce moins pire qu'une incarcération ? J'en doute . En prison , on n'a pas à disposition des verges pour se faire  battre.

   Quand je vous disais que le poignet d'une inconnue est plus bavard qu'il n'y paraît . Ce bref tour d'horizon de l'histoire du bracelet dans notre civilisation nous permet d'apporter une révision à notre postulat de départ . L'homme est en marche , certes . Mais il semble parfois marcher à reculons . Car quoi de plus régressif que de subvertir la fonction première d'un attribut féminin ! Loin de permettre à la femme d'exprimer librement sa féminité , le bracelet connecté, icône de la branchitude,  l'enferme dans le carcan du rendement et de la performance , valeurs masculines par excellence . Le bracelet, autrefois artefact de séduction,  devient menottes , et la femme , dans sa quête du corps parfait , retombe sous la coupe de l'homme. Ne nous étonnons donc plus si le mâle alpha la choisisse come appât...

dimanche 29 juin 2014

   Il y a autant de façons de parler de l'être aimé que de façons d'aimer . On peut célébrer , à l'instar des poètes de la renaissance,  une partie du corps vénéré plutôt qu'une autre   : front , œil , bouche, sourcils, chevelure  ou même tétons , pour les plus polissons . Ce genre de poésie , qui a pour nom blason , comporte néanmoins une grande absente sur la liste des qualités qu'est en droit de posséder l'élu de notre cœur . C'est la peau .

   Et pourtant , sans elle , sans cette fine membrane qui recouvre notre chair et nous circonscrit dans l'espace  , nous ne pouvons pleinement goûter à ce délice des sens que procure une des manifestations de l'élan amoureux : la  caresse . Ce simple va-et-vient de doigts sur notre peau , qui s'épanouit dans la répétition , nous fait côtoyer les cimes de la pâmoison quand il est le véhicule d'une passion . Sans doute parce qu'il nous procure une sensation ambivalente, conjonction d' un doux frisson et de la brûlure d' un buisson ardent , fusion entre le froid et la chaud.

   Ce contact cutané , à l'apparence si banal, réussit le prodige de nous exiler de la dureté  sensorielle de ce monde qui beugle et bêle comme un troupeau de bétail dans cet  enclos qu'est notre microcosme social. Avec lui, Les mots sont superflus . Son langage purement tactile se suffit à lui- même . Il est le complément indispensable à la déclaration de deux amants , et réaffirme, au cours du temps , la permanence de leur  lien . Aussi faut-il s'alarmer quand il se fait plus rare . Sa disparition sonne le hallali d'une relation .

   Or  , s'il est une caresse qui , en toute occasion , apporte volupté et sérénité , c'est bien la caresse des mains. Les doigts qui s'entremêlent comme des lianes savent instantanément se frayer un chemin dans la jungle des émotions . Ils proclament l'union des âmes  et sont le signe ostensible de deux cœurs à l'unisson . Quand dissonance il y a , les doigts recouvrent leur liberté propre et réinvestissent leur fonction de préhension des objets du quotidien . Ils ne sont que les cinq outils d'une main. Dans le pire des cas , les doigts se font accusateurs : l'index est pointé, le majeur vulgairement dressé, et la gifle peut parfois même être infligée . La caresse fait désormais partie du royaume des limbes . Elle a peu d'espoir de ressusciter quand la désunion s'installe . On la trouve inhumée dans la crypte des amours défuntes .

   C'est au crépuscule de la vie  que la caresse prend toute sa valeur  , avec toute sa prégnance symbolique . À l'être aimé qui appareille pour l'autre monde , on prend la main , on la lui caresse . Comme pour un rite de passage. Mais le geste n'a plus d'écho et ne s'accompagne plus de réciprocité . Non pas  parce que le bénéficiaire a renoncé à tout attachement .  Mais parce que sa volonté de lutter l'a abandonné ,  qu'il sait que son départ est proche et inéluctable . Alors il laisse ses doigts pendre , comme les branches d'un arbre foudroyé , avant de s'agripper , dans un ultime  sursaut de vie , à la main de celui qui reste , et qui ne cesse de le caresser  , comme pour lui insuffler la chaleur de son amour , à lui qui ne frissonne plus , maintenant  que le froid de l'au-delà a immobilisé son corps  et pétrifié son coeur.

mardi 24 juin 2014


    Qu'on le veuille ou non , notre corps est le bagage que l'on transporte continûment avec soi, de notre naissance à notre mort , sans possibilité de nous en défaire. Il  prend corps dans le corps de notre mère , replié sur lui-même dans les ténèbres utérines , avant d'être expulsé vers la lumière et croître à son rythme , soumis aux métamorphoses que lui fait subir le temps qui scande notre existence .

    Le temps biologique , en premier lieu , mais aussi le temps (au sens météorologique ) du psychisme , avec ses accélérations et ses décélérations .  Car une chose est sûre : bon gré mal gré , notre corps est attelé à notre esprit pour le meilleur et pour le pire , dans notre voyage forcé sur cette terre . Dès lors , tous les coups sont permis . De cette cohabitation contrainte , naissent des rébellions sans fin  , et il faut être un habile aurige pour éviter de verser dans le précipice .

    De cette lutte sans merci, le corps est toujours le premier à pâtir . Extérieurement d'abord. Au vu et au su de tout le monde , il se dilate ou se rétracte , faisant osciller la balance au gré de nos humeurs changeantes . Intérieurement aussi . Nos organes sont mis  à rude épreuve . De l' ulcère au cancer , nos viscères subissent les assauts répétés de la maladie très souvent induite par un esprit à l'agonie . Psychosomatisme oblige .

    Pour parer conjointement à l'érosion physiologique de notre corps et aux déprédations physiques commises par les diverses pathologies , notre volonté s'avère une alliée de choix . Elle est la forteresse dans laquelle nous nous retranchons pour nous façonner un corps de déesse: celui immortalisé par la statuaire antique . Un corps modelé à force d'être mortifié par des séances de musculation intensive . Un corps magnifié et exhibé sans retenue sur du papier glacé. Comme pour conjurer les moment où il deviendra de glace , aussi froid que le marbre des statues qu'il tend à imiter.

    Car rien ne peut enrayer le cours implacable du temps. On peut tout au plus faire illusion , user de  subterfuges pour redonner à la peau son apparence juvénile . Mais l'on ne trompe que soi-même dans ce vaste jeu de dupes . Les années que l'on pense avoir soustraites à notre état civil sont bel et bien inscrites sur la feuille de route de notre vie . Et ce corps que nous exaltons , et grâce auquel nous exultons dans cette jouissance que nous procurent  les plaisirs de la chair,  ce corps est pourtant bien notre prison ! Ne l'oublions pas : la "petite mort" porte bien son nom. Elle n'est qu'une séance de répétition avant l'exécution de l'oraison funèbre qui clora notre existence sur terre.