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dimanche 3 avril 2016


Quand je ne fixais pas le sillage du transméditerranée qui s'arrachait avec peine au littoral en faisant retentir sa corne de brume , je concentrais mon attention sur les anfractuosités des rochers, dans l'espoir de débusquer un crabe . Mais ce n'était pas une mince affaire, car la locomotion erratique de ces créatures diaboliques me donnait fort à faire, et il était plutôt rare que l'une d'entre elles vienne garnir le fond de mon épuisette. D'autant qu'il s'en trouvait toujours une pour m'obliger à lui courir après sur les rochers calcinés par le soleil et constellés de patelles. Au final , le crabe réussissait toujours à m'échapper, et moi j'écopais de vilaines cloques au pied . 

J'avais pourtant de jolies tongs ornées, au mitan du pied, d'une marguerite mutante, qui aurait pu préserver ma délicate voûte plantaire. Mais je ne voulais pas leur réserver une fonction bassement utilitaire. J'étais déjà esthète, voyez-vous ! Et vu qu'elles m'avaient été rapportées d'une lointaine contrée exotique , je ne voulais les arborer qu'en des occasions choisies . C'était surtout leur semelle qui ravissait ma vue. Elles étaient décorées d'espèces florales colorées et variées, ce qui me donnait l'impression , quand je les chaussais , d'avancer sur un tapis végétal luxuriant .

Un jour pourtant , ma sœur et ma cousine s'avisèrent de me jouer un vilain tour . Elles subtilisèrent l'une de mes tongs et la lancèrent dans les flots aussi loin qu'elles le purent . La vue de ma tong flottant désespérément au gré des courants me terrassa . J'étais désemparée comme Cendrillon sans sa pantoufle , mais une Cendrillon sans prince charmant qui se fût empressé de la lui rapporter . D'une voix tonitruante , je sommai les deux coupables de regravir quatre à quatre les marches de l' escalier qui menaient de la plage au jardin fortifié , et d'en ramener l'énorme râteau qui servait à entretenir les allées .Ce qu'elles firent promptement , sentant l'orage sourdre dans ma voix . Puis , pointant d'un doigt menaçant la tong dérivant dangereusement vers le large , je leur intimai l'ordre de se poster sur un rocher et de ratisser l'eau pour la récupérer .

Les deux complices n'en menaient pas large . Elles savaient que je ne les laisserais pas repartir bredouille sous peine de représailles . Heureusement Poséidon eut pitié d'elles , ou plutôt Éole , car grâce à son concours , la tong à la marguerite protubérante fut récupérée par le râteau et retrouva sa place de choix sur mon pied . C'est à partir de ce jour que je décidai de ne plus jamais m'en séparer , et que je fis mien ce précepte : joindre l'utile à l'agréable . Dès lors , plus de cloques aux pieds , et beaucoup plus de crabes dans mon panier !

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