L'arrivée de la Toussaint me fait toujours la même impression que celle
de la Saint-Valentin. Non pas que je nourrisse, en moi, un penchant
morbide pour les amours défuntes. Mais je ne peux m'empêcher de déplorer
le manque d'originalité dont témoignent les marchands de fleurs pour
attirer les chalands des quatre coins de France .
Chaque 1er Novembre, ce sont des chrysanthèmes à profusion qui font leur appartition sur les tombes. Les allées des cimetières, jusque-là
colonisées par les herbes folles, sont ratissées de frais . Les
sépultures, après avoir subi, une année durant, les outrages de la pluie et du vent, font
brusquement l'objet de soins intenses. On se souvient soudain que l'on a des
ascendants reposant à six pieds sous terre, quelque part, loin du bruit
et de la fureur urbaine. Et cette brusque réminiscence déclenche en
nous le réflexe pavlovien bien connu du mouton : C'est en procession que nous
allons faire l'acquisition du pot de fleurs imposé pour l'occasion .
Quelle punition nous nous infligeons! A-t-on idée, en temps normal, de
fleurir notre maison de cette espèce végétale à la chair grasse et à l 'effluve
nauséeuse? Vénérons-nous si peu nos morts pour les gratifier d'une
offrande aussi commune? Oublions-nous que, de leur vivant, les
jardins secrets qu'ils cultivaient étaient à nul autre pareils, et que,
si nous les chérissions, c'était en raison de leur singularité
quintessentielle?
Mais la célébration de la Toussaint n'est pas la seule à détenir le
monopole de la fleur unique. Il en est de même pour la Saint-Valentin. Je plains mes
consœurs de devoir feindre l'enthousiasme quand elles reçoivent, des
mains de leur cher et tendre, l'inévitable, l'indémodable et surtout l'hyperbanal bouquet de roses rouges. Comme si les hommes, à court
d'inspiration, n'osaient s'aventurer sur le terrain fertile de la
symbolique en composant des gerbes de capucines, d'héliotropes, de camélias et de jacinthes à l'élue de leur cœur .
A moins que, malheureusement, l'amour qu'ils prétendent éprouver ne soit qu'un amour convenu, aux fondations fragiles et voué à périr. On comprend, dès lors, les précautions dont ils s'entourent en offrant des roses rouges à la signification si limpide: trop peu nombreux seraient ceux qui goûteraient,
ne serait-ce que fugitivement, l'enivrement , l'ardeur , l'admiration
et, surtout, la dévotion pérenne que supposent l'héliotrope , la
capucine , le camélia et la jacinthe ...
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