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dimanche 9 mars 2014


"O rage ! O désespoir ! O vieillesse ennemie ! ", c'est le refrain que, toutes, nous entonnons quand notre miroir , jusque-là allié fidèle dans notre combat contre les dissonances esthétiques , passe subitement dans le camp adverse . De ce jour-là, nous nous en souvenons toutes . Et notre consternation est aussi grande que celle ressentie par la méchante reine quand elle apprend que Blanche-Neige est plus belle qu'elle . Que le héraut de notre beauté ose nous trahir  et nous renvoyer le reflet de l'aube de notre décrépitude, cela ne s'oublie pas . La première ride ! Autant dire que notre ego subit un choc sismique . La vieillesse grimaçante, traîtresse parmi les traîtresses , se serait donc invitée à la table des réjouissances  pour nous narguer ouvertement ? Qu'à cela ne tienne! Il en faut plus pour nous abattre .

Le premier réflexe est de partager son émoi avec d'autres que soi , en espérant être consolée et conseillée par la bonne copine , celle qui fait toujours semblant de compatir à nos histoires de cœur et qui nous rappelle , avec raison, que les hommes ne savent pas ce qu'ils perdent quand ils vont voir ailleurs . Seulement , voilà... Un homme de perdu , c'est beaucoup moins important qu'une ride apparue . Et puis, la bonne copine, on ne sait pas si elle va tenir sa langue . Et un problème aussi grave que la dégénérescence cutanée , cela ne s'aborde pas à la légère . Alors on préfère garder le secret pour soi. On se palpe le visage , on scrute la moindre parcelle de l'épiderme en essayant de débusquer un dégât collatéral. Et on  fulmine contre cette ride intempestive qui nous fait soudainement perdre le sommeil et nous poser des questions existentielles . Quelle est cette ride ? D'où vient cette ride ? Où va cette ride ?


Dès lors commence notre quête fébrile du remède miracle pour piéger la hideuse ennemie. Magazines féminins , émissions télévisuelles , publications électroniques , tout y passe . La traque à l'élixir de jouvence ne fait que commencer . Les conseillères beauté se parent soudain  d'une aura inégalable . On boit leurs paroles comme on sirote un nectar. Avec délectation. Elles susurrent à notre oreille les bienfaits d'un produit censé réhydrater , nourrir, redensifier , repulper et raffermir notre peau malmenée par le temps . On s'étonne qu'elles n'aient besoin que d'un simple regard pour diagnostiquer nos carences cutanées et délivrer un diagnostic aussi pointu . Mais on leur fait confiance. Elles sont notre seule planche de salut.

 On découvre aussi un jargon inconnu , une évocation traumatisante des périls à venir qui nous fait frémir et blêmir . Ne voilà t' il pas que plane sur nous la menace des pattes d'oie et de la ride du lion ? Pourquoi , diantre , fallait-il que Le roi des animaux soit associé à notre déclin ? Passe encore le palmipède , qui , soit dit en passant , se venge comme il peut du gavage que lui font subir certains éleveurs , mais que le majestueux mammifère à la crinière opulente ricane à nos dépens , c'en est trop! Que dire des expressions imagées de la "vallée des larmes " ou des " plis d'amertume"! Elles parlent d'elles-mêmes . Quant au " sillon nasogénien " , laissez- moi vous dire qu'il mériterait une autre dénomination . Notre peau si délicate , labourée comme un champ de betteraves ? Un peu de poésie , de grâce ! Comment voulez- vous , après cela , que la vieillesse soit accueillie à bras ouverts!

 On dit qu'elle rime avec sagesse , mais cela est loin d'être le cas pour tout le monde . Il n'y a qu'à observer le comportement de certaines de nos congénères , qui accordent , à tort ou à raison  , peu de crédit au discours sirupeux des pourvoyeuses de crèmes et onguents miraculeux . Quitte à ressembler à un animal, elles préfèrent  opter pour les souris de laboratoire , et se laisser piquer et inciser par les mains de praticiens âpres au gain . Elles n'ont peur de rien . Sauf de la ride . Pour s en débarrasser , elles sont prêtes à déshériter leurs rejetons . Même celles qui ont un pied dans la tombe en usent et en abusent . Peut-être espèrent-elles retarder leur dernière heure  en faisant croire au Tout-Puissant qu'elles sont moins mûres qu'il n'y paraît ?

Dieu me préserve d'appartenir à cette catégorie-là. D'abord parce que j'aime trop ma fille pour la déshériter , ensuite parce que jouer avec l'acide hyaluronique ou botulique ne me tente  guère . Quant au bistouri , je  suis décidément trop douillette .  Alors je préfère observer l'écoulement des saisons , écrire des billets doux à l'élu de mon cœur , et me souvenir que mon miroir reflète moins la beauté de mon visage que celle de mon âme . Je serai ainsi sûre qu'au jour de mon trépas , les anges m'accueilleront à  bras ouverts , avec ou sans rides .

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